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Par Caroline Bertolini

Le syndrome d’imposture* est un  phénomène qui empêche de se penser légitime, et dont la source se trouve dans un manque de confiance en soi intériorisé. Mais pourquoi serait-il genré ? Pourquoi atteindrait-il majoritairement les femmes** ? Elisabeth Cadoche (journaliste, autrice) et Anne de Montarlot (psychothérapeute) ont écrit le livre « Le syndrome d’imposture : Pourquoi les femmes manquent tant de confiance en elles ? ». Elles sont intervenues dans le cadre d’un atelier proposé aux participantes du programme de mentorat de MEWEM Europa, où je les ai rencontrées. Il m’a paru indispensable de parler de leur recherche.

* On entend “femmes” cisgenres et femmes transgenres tout au long de cet article.
**On employera ici l’expression “syndrome d’imposture” plutôt que “syndrome d’imposteur”, en ce que le syndrome touche principalement les femmes.

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« Moi aussi, parfois, je manque de confiance », « Je vis aussi le syndrome d’imposture »


Voilà ce que répondent parfois les hommes à qui l’on explique que ce syndrome atteint majoritairement les femmes. En effet, il est vrai que tout le monde peut ressentir un manque de confiance, voire même le syndrome d’imposture. Cependant ce phénomène n’est pas du même gabarit pour les femmes et les hommes, il n’implique pas non plus les mêmes enjeux.

Lorsque nous disons que ce syndrome atteint « majoritairement » les femmes, c’est parce qu’il s’applique aux femmes d’une manière systémique. C’est un sentiment que tout le genre féminin a ancré en évoluant dans le système patriarcal. Ceci est tout de même à prendre avec nuance ; bien sûr certaines femmes ont une grande confiance en elles, bien sûr des hommes sont plus insécurisés que d’autres. La question ici n’est pas de juger chaque personnalité pour trouver des contre-exemples mais de comprendre comment la société,  avec ses normes, diktats, son éducation transmet aux femmes ce syndrome d’imposture. 

Un manque de confiance en soi provoque souvent une anxiété, une peur de ne pas réussir. Le syndrome d’imposture, lui, va encore plus loin. C’est plus profond qu’un « simple » manque de confiance surmontable. On n’arrive pas à se sentir crédible, on nie son mérite, on saute sur l’occasion de ramener la faute sur soi. C’est une peur qui nous tétanise. Chez les femmes, il constituerait un vrai frein, autant dans la sphère professionnelle que dans la sphère privée.

 

Origines et causes systémiques 

Si les conséquences ainsi que le syndrome en lui-même, sont systémiques, les causes le sont également.
Trois origines sont mises en lumière dans  l’ouvrage d’E. Cadoche et A. de Montarlot. Tout d’abord une origine historique, découlant du patriarcat. Une forme de domination sur les femmes constante a été mise en place depuis si longtemps, qu’elle reste dans notre ADN. Elle est intériorisée et presque inconsciente. À travers l’histoire, les femmes ont souvent été invisibilisées, et de façon généralisée dans les arts. La littérature en serait un exemple, lorsque les femmes écrivaines n’étaient pas reconnues ou signaient leurs œuvres avec le nom de leur mari. Tout comme la peinture, lorsque les femmes peintres ne pouvaient être reconnues ou prétendre à la célébrité. Un exercice mental qu’il est intéressant de faire, serait de tenter de citer 5 noms de femmes peintres. Il y a de grandes chances que cet exercice vous paraisse compliqué, alors que citer 5 hommes peintres vous sera beaucoup plus simple. 

« Les femmes n’ont pas d’Histoire », comme l’expliquent si bien les deux autrices.  Notre société patriarcale a longtemps voulu que les femmes n’existent que dans le contexte du mariage et de la maternité, bien loin d’être créditées pour leur intelligence ou valorisées pour leur avis. Le mépris envers les femmes est ancré depuis l’Antiquité au point que certains chemins, certains endroits, certains droits citoyens leur soient refusés. Comment être capable de ne pas douter de sa place et de sa légitimité dans ce contexte historique ? Si demander une augmentation, prendre la parole, penser à son propre désir sexuel, ne pas vivre pour plaire aux autres sont des tâches parfois difficiles, c’est qu’on ne leur a jamais accordé assez d’importance pour qu’elles se sentent confiantes de le faire. 

Venons en maintenant aux origines sociétales. Dans notre société, les injonctions sont nombreuses. Des exigences de perfection, de performance, de beauté, etc. Dans celle-ci, le corps de la femme est scruté, servant de cible marketing. Maigrir, faire du sport, comment avoir tel corps et rentrer dans les standards de beauté, ne pas avoir l’air de vieillir, être tirée à quatre épingle sans cesse. Il y a une contrainte d’être belle en toutes circonstances, mais aussi de plaire, de se sacrifier pour faire fonctionner la famille, le couple. Les autrices, Elisabeth Cadoche et Anne de Montarlot, citent Christophe André : “L’apparence physique est la première composante de l’estime de soi”. Dans un contexte où l’on doit constamment remettre en question son image pour plaire à la société, comment avoir confiance en soi ? 

Enfin, les raisons familiales jouent un grand rôle dans le manque d’estime de soi en général, et par conséquent, dans le syndrome d’imposture. L’attitude des parents face à leur enfant, face à son besoin d’écoute et d’amour est assez important et forgera son opinion de lui·elle-même. Quand on est jeune, on est conditionné·es à rechercher l’approbation de nos parents, on cherche notre valeur dans les yeux des autres, et cela  permet de nous dire qu’on est digne d’être aimé – ou au contraire de voir notre valeur diminuée, ce qui construit notre estime de soi.

D’ailleurs, au sein de la famille, les attentes sont souvent plus grandes pour les petites filles. On demandera donc aux filles de bien agir, respecter les règles, s’occuper des autres, de ramener des bonnes notes, etc. On acceptera d’un petit garçon qu’il soit brusque et lorsqu’une fille arborera ce genre de comportement, on le considérera comme masculin. De la même façon, lorsqu’un garçon lance un ballon, il déploie son corps et prend de l’espace pour lancer l’objet bien loin. Une petite fille bougera seulement le bras. Les qualités qui sont recherchées chez les petites filles (être sage, obéir, s’occuper des autres,…) ne sont pas les qualités que l’on recherche en entreprise.

 

Au quotidien

« Les hommes surestiment leurs capacités et leurs performances, alors que les femmes les sous-estiment »

Au quotidien, les conséquences du syndrome d’imposture vont se manifester par le fait de sur-travailler pour prouver sa valeur. Le besoin d’avoir des connaissances encyclopédiques dans un domaine pour pouvoir se sentir légitime d’en parler, surtout face à un homme qui donnera souvent son opinion sans toujours se préoccuper du fondement théorique de ce qu’il dit. On pourra également constater une peur du risque, moins d’audace pour prendre la parole, pour demander une augmentation, pour essayer de gravir les échelons, etc. 

On retrouve également un point important sur la procrastination. Vu comme un grand défaut, il est parfois important de se demander d’où il vient. Pour beaucoup de femmes atteintes du syndrome d’imposture, la procrastination est liée à la peur de l’échec. C’est reporter une action par peur d‘échouer. « Je ne le fais pas parce que je ne vais pas y arriver ». « Si je ne le fais pas, je ne peux pas échouer ». 

Au contraire, si on réussit, on ne va pas souvent se l’attribuer complètement. On va dire que c’est grâce aux autres, qu’on a été bien soutenue, qu’on a de la chance d’avoir été dans un environnement bienveillant pour réaliser cet accomplissement. On va se dire que tout n’est pas parfait et ressasser ce qu’on aurait pu faire pour que ça le soit, à nos yeux. Si on ne nous complimente pas sur la réussite, on aura tendance à  la minimiser. 

Encore une fois, lorsque l’on  n’est pas sûre de soi, on recherche souvent l’approbation des autres. Le besoin de reconnaissance sera grand pour pouvoir se rassurer d’être légitime d’avoir la place qu’on occupe. A contrario : « si on ne dit pas que je suis bonne à ce que je fais, c’est que je ne le suis pas ». Mais si on nous dit qu’on est intelligente, c’est forcément qu’on se trompe. On va toujours se poser énormément de questions sur notre talent, notre travail, notre capacité à leader, à gérer un projet, à interagir avec les autres, etc. C’est un doute permanent, qui n’est pas constructif mais destructeur. 

Cette voix d’autocritique qui a une grande place dans notre vie agit comme un filtre et dévalorise ce que l’on  vit. Voir une situation par ce filtre ne fait que confirmer ce sentiment, et rend notre jugement biaisé.

 

Conséquences systémiques

Finalement, pourquoi est-ce problématique que les femmes aient ce syndrome d’imposture? Le syndrome d’imposture a un grand impact sur la société. Alors que les hommes peuvent plus ou moins facilement le dépasser pour avancer dans leur vie professionnelle et privée, les conséquences sur la vie des femmes sont bien plus grandes et ne permettent pas d’atteindre certains objectifs, ou plus difficilement.

C’est un cercle vicieux. Ce syndrome empêche principalement les femmes d’accéder à des postes de leadership, des postes de pouvoir, des postes où l’on prend les décisions. Ce sont des postes qui pourraient permettre d’espérer transformer les mentalités, les normes et les représentations en faveur d’une meilleure égalité hommes/femmes, etc. En plus, il engendre une surreprésentation des hommes aux postes à responsabilités, ce qui n’encourage pas les femmes à tenter de postuler à ces postes. 

 

S’en défaire 

Comment les femmes peuvent-elles s’en libérer ? C’est d’abord un travail à faire chacune individuellement. Se libérer du regard des autres, de l’envie de plaire, mais aussi oser prendre des risques, s’affirmer, etc. Mais comment ? En remontant plus loin dans l’enfance par exemple. Dans leur livre, Elisabeth Cadoche et Anne de Montarlot proposent de réfléchir à plusieurs questions :

  • Quel était le discours familial autour du succès et de l’échec ? 
  • Est-ce que vous avez reçu une étiquette ou un label par rapport à vos frères et sœurs ? 
  • Comment étiez-vous récompensée ? Il fallait faire quoi pour être bien vue ? 
  • Il y a une injonction sociale qui résonne particulièrement pour vous ? Laquelle était la plus présente ? 

Il est important ensuite de nommer ses compétences, ce dans quoi nous sommes douées. Effectuée lors d’un atelier, cela prend la forme d’une discussion/ début de thérapie sur le sujet qui fait remonter beaucoup d’émotions, mais la pièce s’en voit allégée directement. Vous pouvez retrouver ces conseils, et bien plus dans le livre. 

 

Comment aider en tant qu’homme ? 

Il s’agit d’être un allié, de laisser la place aux femmes sans se sentir blessé dans son égo. Il est surtout important de se rendre compte de son privilège et de l’invisibilisation trop présente des personnes discriminées et de les aider à avoir confiance. Au sein du secteur de la musique, particulièrement, les laisser aller parler aux conférences, même si cela  leur fait peur et les encourager, être bienveillant. Ne pas partir du principe qu’une femme en connait moins en musique que vous, ne pas être étonné de ses connaissances lorsqu’elle débat avec vous, ne pas lui couper la parole pour étaler les vôtres. Quand une femme vous dit « je ne sais pas si je me sens légitime », lui dire qu’elle l’est. C’est peut-être simple, mais ça aide déjà à son échelle.

Alors oui, c’est une forme d’approbation extérieure mais surtout, c’est un encouragement. Simultanément avec un travail sur soi-même, il sera possible de faire cet auto-nettoyage et produire un diagnostic de soi-même qui sera plus proche de la réalité. Cela  signifie également qu’il est primordial d’avoir confiance en nos compétences et de recruter au sein de son entreprise/organisation avec cette même confiance – que ce soit pour des postes à responsabilités, ou des postes de programmation, technique, etc. Engager plus de femmes et de personnes discriminées, c’est aider à une meilleure représentation, et celle-ci est très importante pour les prochaines personnes qui postuleront.

On vous conseille vivement de lire ce livre, peu importe votre genre, pour comprendre les mécanismes derrière le syndrome d’imposture et comment produire un environnement qui permette aux femmes de se sentir légitimes. Ou pour vous sentir légitimes vous-mêmes, si  vous êtes une femme et que vous lisez cet article.